EPITAPHE
D'UN CHAT.
MAINTENANT le vivre me fâche ; Et afin, Magny, que tu sçache, Pourquoi je suis tant éperdu, Ce n'est pas pour avoir perdu Mes anneaux, mon argent, ma bourse ; Et pourquoi est-ce donques ? pour ce Que j'ai perdu depuis trois jours Mon bien, mon plaisir, mes amours. Et quoi ? ô souvenance gréve ! A peu que le cœur ne me creve, Quand j'en parle, ou quand j'en écris : C'est Belaud mon petit Chat gris : Belaud, qui fut par avanture Le plus bel œuvre de que Nature Fit onc en matiere de Chats : C'étoit Belaud la mort aux Rats, Belaud, dont la beauté fut telle, Qu'elle est digne d'être immortelle. Donques Belaud premierement Ne fut pas gris entierement, Ni tel qu'en France on les voit naître ; Mais tel qu'à Rome on les voit être. Couvert d'un poil gris argentin, Ras & poli comme satin, Couché par ondes sur l'eschine, Et blanc dessous comme un hermine : Petit museau, petites dents, Yeux qui n'étoient point trop ardents ; Mais desquels la prunelle perse, Imitoit la couleur diverse Qu'on voit en cet arc pluvieux, Qui se courbe au travers des Cieux. La tête à la taille pareille, Le col grasset, courte l'oreille, Et dessous un né ébenin, Un petit mufle lyonnin, Au tour duquel étoit plantée Une barbelette argentée, Armant d'un petit poil folet Son musequin damoiselet. Jambe gresle, petite patte, Plus qu'une moufle delicate ; Sinon alors qu'il degaînoit Cela, dont il égratignoit : La gorge douillette & mignonne, La queue longue à la guenonne, Mouchetée diversement D'un naturel bigarement : Le flanc haussé, le ventre large, Bien retroussé dessous sa charge, Et le dos moyennement long, Vrai sourian, s'il en fut ong. Tel fut Belaud, la gente Bête, Qui des pieds jusques à la tête, De telle beauté fut pourvû, Que son pareil on n'a point vû. O quel malheur ! ô quelle perte, Qui ne peut être recouverte ! O quel deuil mon ame en reçoit ! Vraiment la mort, bien qu'elle soit Plus fier qu'un ours, l'inhumaine, Si de voir, elle eût pris la peine, Un tel Chat, son cœur endurci En eût eu, ce croi-je, merci : Et maintenant ma triste vie Ne haïroit de vivre l'envie. Mais la cruelle n'avoit pas Goûté les folâtres ébas De mon Belaud, ni la souplesse De la gaillarde gentillesse : Soit qu'il sautât, soit qu'il gratât, Soit qu'il tournât, ou voltigeât D'un tour de Chat, ou soit encores, Qu'il print un Rat, & or & ores Le relâchant pour quelque temps S'en donnât mille passe-temps. Soit que d'une façon gaillarde Avec sa patte fretillarde, Il se frottât le musequin ; Ou soit que ce petit coquin Privé sautelât sur ma couche, Ou soit qu'il ravît de ma bouche, La viande sans m'outrager, Alors qu'il me voyoit manger ; Soit qu'il fît en diverses guises Mille autres telles mignardises. Mon Dieu ! quel passe-tems c'étoit Quand ce Belaud vire-voltoit, Folâtre au tout d'une pelotte ? Quel plaisir, quand sa tête sotte Suivant sa queue en mille tours, D'un roüet imitoit le cours ! Ou quand assis sur le derriere Il s'en faisoit une jarretitere Et montrant l'estomac velu, De panne blanche crespelu, Sembloit, tant sa trogne étoit bonne, Quelque Docteur de la Sorbonne ; Ou quand alors qu'on l'animoit, A coups de patte il escrimoit, Et puis appaisoit sa colere, Tout soudain qu'on lui faisoit chere. Voilà, Magny, les passe-temps, Où Belaud employoit son temps ; N'est-il pas bien à plaindre donques ? Au demeurant tu ne vis onques Chat plus adroit, ni mieux appris A combattre Rats & Souris. Belaud sçavoit mille manieres De les surprendre en leurs tesnieres, Et lors leur falloit bien trouver Plus d'un pertuis, pour se sauver ; Car onques Rat, tant fût-il vite, Ne se vit sauver à la fuite Devant Belaud ; au demeurant Belaud n'étoit pas ignorant : Il sçavoit bien, tant fut traitable, Prendre la chair dessus la table, J'entens, quand on lui presentoit, Car autrement il vous grattoit, Et avec la patte friande De loin muguetoit la viande. Belaud n'étoit point mal-plaisant, Belaud n'étoit point mal-faisant, Et ne fit oncq; plus grand dommage Que de manger un vieux fromage, Une linotte & un pinson Qui le fâchoient de leur chanson ; Mais quoi, Magny, nous-mêmes hommes Parfaits de tous points nous ne sommes. Belaud n'étoit point de ces Chats, Qui nuit & jour vont au pourchats, N'ayant souci que de leur panse : Il ne faisoit si grand' dépense, Mais étoit sobre à son repas Et ne mangeoit que par compas. Aussi n'étoit-ce sa nature De faire par-tout son ordure, Comme un tas de Chats, qui ne font Que gâter tout par où ils vont. Car Belaud, la gentille bête, Si de quelque acte moins qu'honnête, Contraint, possible il eût été, Avoit bien cette honnêteté De cacher dessous de la cendre Ce qu'il étoit contraint de rendre. Belaud me servoit de joüet ; Belaud ne filoit au roüet, Gromelante une letanie De longue & fâcheuse harmonie ; Ains se plaignoit mignardement D'un enfantin miaudement. Belaud (que j'aye souvenance) Ne me fit oncq; plus grand' offense Que de me réveiller la nuit, Quand il entroyoit quelque bruit De Rats qui rongeoient ma paillasse : Car lors il leur donnoit la chasse, Et si dextrement les happoit, Que jamais un n'en échappoit ; Mais, las, depuis que cette fiere Tua de sa dextre meurtriere La sure garde de mon corps, Plus en sureté je ne dors : Et or, ô douleurs non pareilles ! Les Rats me mangest les oreilles : Même tous les vers que j'écris, Sont rongez de Rats & Souris. Vraiment les Dieux sont pitoyables Aux pauvres humains miserables Toujours leur annonçant leurs maux, Soit par la mort des animaux, Ou soit par quelqu'autre présage, Des Cieux le plus certain message. Le jour que la sœur de Cloton Ravit mon petit peloton, Je dis, j'en ai bien souvenance, Que quelque maligne influence Menaçoit mon chef de là haut, Et c'étoit la mort de Belaud : Car quelle plus grande tempête Me pouvoit foudroyer la tête ! Belaud étoit mon cher mignon, Belaud étoit mon compagnon, A la chambre, au lit, à la table ; Belaud étoit plus accointable Que n'est un petit Chien friand, Et de nui n'alloit point criand Comme ces gros Marcous terribles, En longs miaudemens horribles : Aussi le petit Mitouard N'entra jamais en Matouard : Et en Belaud, quelle disgrace ! De Belaud s'est perdu la race. Que plaît à Dieu, petit Belon, Que j'eusse l'esprit assez bon, De pouvoir en quelque beau stile Blasonner ta grace gentile, D'un vers aussi mignard que toi : Belaud, je te promets ma foi, Que tu vivrois, tant que sur terre Les Chats aux Rats feront la guerre.
Par Dubellay, Gentil-homme
Angevin. 1568.
François-Augustin Paradis de Moncrif (1727) Les Chats. Du Bellay: Epitaphe d'un chat: pp. 156-164.
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