LES
CHATS
A PARIS
Chez Gabriel-François Quillau
Fils, Imp. Lib. Jur. de l'Université,
rue Galande, à l'Annonciation.
M. DCC. XXVII.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
LES
CHATS
PREMIERE LETTRE
A MADAME
LA M. D B***
LE cœur ne vous a-t-il point battu toute cette soirée, Madame ? On a parlé des chats dans une Maison d'où je sors ; on s'est déchaîné contre eux, & vous sçavez combien cette injustice-là coûte à supporter. Je ne vous rapporterai point tous les ridicules & tous les vices dont les Chats ont été accusez.
Je serois bien fâché de les avoir redits [1].
J'ai tenté de défendre leur cause, il me semble que j'ai parlé raison ; mais dans les disputes, est-ce avec cela qu'on persuade ? Il auroit fallu de l'esprit : Où êtiez-vous, Madame ? J'ai soutenu d'abord la sortie qu'on m'a faite, avec ce sang froid, & cette moderation qu'on doit garder en exposant les opinions les plus raisonnables, quand elles ne sont pas encore bien établies dans les esprits ; mais il est survenu un incident qui m'a absolument déconcerté. Un Chat a paru, & d'abord une de mes adversaires a eu la presence d'esprit de s'évanouir ; on s'est mis en colère contre moi ; on m'a declaré que tous les raisonnemens de la philosophie ne pouroient rien contre ce qui venoit de se passer ; que les Chats n'ont été, ne sont & ne seront jamais que des animaux dangereux, insociables. Ce qui m'a penetré de douleur est que la plûpart de ces conjurez sont gens de beaucoup d'esprit.
Il faut que je vous confie un grand projet, Madame. Parmi tant de faits memorables qu'on a cherché à éclaircir & à mettre en ordre, on n'a point encore songé à faire l'histoire des Chats ; n'en êtes-vous pas bien étonnée ? Homere n'avoit pas trouvé indigne de sa Muse de décrire la guerre des Rats & des Grenouilles. Un des chapitres de Lucien, traité avec le plus d'agrément, est à la louange de la Mouche, & les Asnes ont eu la satisfaction de voir faire leur éloge [2]. Comment les Chats ont-ils été negligez ? Je n'en serois pas surpris s'il falloit pour composer un Ouvrage à leur gloire, avoir recours à l'imagination ; mais dès qu'on porte ses regards sur les Chats des siecles passez, quelle foule d'évenemens plus interessans les uns que les autres ne découvre-t-on pas ? Avant que d'en exposer le tableau, on paroîtroit bien ridicule, si on osoit avancer qu'il y a eu tel chat dont la vie peut-être a été plus brillante & plus traversée que celle d'Alcibiade ou d'Helene. Cependant si l'un & l'autre ont allumé des guerres fameuses ? si Helene a vû des Autels élevez à sa beauté ? de tels avantages ne les mettent au point au-dessus d'un grand nombre de Chats et de Chattes qui tiennent un aussi beau rang au Temple de Memoire.
L'Histoire des Chats devoit donc naturellement réveiller l'émulation des Ecrivains les plus illustres ? Mais enfin puisque cette Histoire n'a point été faite, la mediocrité des talens ne doit pas étouffer le zele. J'oserai tenter cet Ouvrage, & je me croirai à portée d'y réussir, si vous me promettez d'aider à mon entreprise. Nous commencerons par chercher les sources de cette fausse prévention qu'on a assez communément ici contre les Chats. Nous exposerons de bonne foi les lumieres qu'une longue habitude de leur commerce, & la réflexion nous ont acquises. Nous rapporterons les formes differentes que les interêts des Chats ont pris successivement dans les Nations, en gardant tous les ménagemens convenables, pour ne point révolter les personnes qui ont par pur sentiment, de l'antipatie pour eux. Nous nous souviendrons toujours qu'il y a de certaines répugnances naturelles, lesquelles selon le Pere Malbranche [3], peuvent être l'effet de l'imagination déréglée des meres, qui a influé sur celle des enfans ; ou, comme l'explique un celebre Philosophe Anglois [4], l'ouvrage des contes d'une Nourrice.
La crainte est aux enfans la première leçon, a dit M. de la Fontaine ; & d'ailleurs il est bien aisé de reconnoître que les antipaties acquises ou naturelles peuvent tomber sur les objets qui semblent le moins devoir se l'attirer ; l'un ne sçauroit voir des oiseaux sans fremir : tel autre fuit quand il apperçoit du liege. Germanicus ne pouvoit souffrir le chant ni l'aspect d'un Coq [5]. Les Chats par ces sortes de haines ne sont donc point caracterisez dangereux ni méchans ? On a oui dire dès le berceau que les Chats sont d'un naturel traître ; qu'ils étouffent les enfans ; qu'ils sont sorciers peut-être. La raison qui survient a beau se récrier contre ces calomnies, l'illusion a parlé la premiere, elle persuadera long-temps encore après qu'elle aura été reconnue pour ce qu'elle est ; & si les Chats obtiennent de n'être plus sorciers, ils resteront craints, du moins comme s'ils l'avoient été effectivement.
M. de Fontenelle avoue qu'il a été élevé à croire que la veille de la saint Jean, il ne restoit pas un seul Chat dans les Villes, parcequ'ils se rendoient ce jour-là à un sabat general. Quelle gloire pour eux, Madame, & quelle satisfaction pour nous, de songer qu'un des premiers pas de M. de Fontenelle dans le chemin de la Philosophie, l'ait conduit à se défaire d'une fausse prévention contre les Chats, & à les cherir.
Notre apologie ne regardera donc, ainsi que nous venons de nous le proposer, que les personnes qui, par indolence, suivent un ancien prejugé, ou celles qui, par mignonerie, affectent la frayeur des Chats [6].
Vous sçavez, Madame, quel rôle nos chers amis ont joué dans l'Antiquité : Si les respects des hommes, quoique ridiculement fondez, peuvent faire quelque honneur à ce qui en est l'objet, il n'y aucun des animaux qui puisse rapporter des titres plus éclatans que ceux de l'espece chatte. Il ne sera peut-être pas prudent de le peindre d'abord avec tant d'avantage ; mais pour mettre quelque ordre dans notre ouvrage, nous ne pouvons pas nous dispenser de commencer par faire envisager les Chats divinisez, comme ils ont été en Egypte, & honorez par des statues, & par un culte mysterieux transmis successivement aux Grecs [7], & aux Romains [8] ; & sans nous arrêter à un grand nombre de monumens de l'Antiquité, qui semblent s'être conservez exprès pour faire foi de la gloire des premiers Chats, nous exposerons seulement d'abord le Dieu Chat, tel qu'il étoit représenté en Egypte sous sa forme naturelle, paré d'un collier, au milieu duquel est attachée une table enrichie de caracteres hyerogliphiques [9]. Il est vrai qu'on n'a point l'intelligence de ces caracteres ; mais nous ne laisserions pas de les expliquer en rassemblant differentes circonstances de la Mytologie des Egyptiens.
Ces peuples avoient pour tradition que les Dieux poursuivis par Typhon [10], avoient imaginé de se cacher sous des formes d'animaux.* Anubis [12] adoré depuis sous le nom de Mercure, s'étoit transformé en Chien. Diane qui, selon l'opinion d'Apulée est la même qu'Isis [13], s'étoit transformée en une belle Chatte ; & comme remarque fort bien Plutarque [14], (car il ne faudra pas manquer de le citer,) les Egyptiens n'avoient point imaginé au hazard la forme d'animal que chaque Divinité étoit censée avoir prise. Mercure, par exemple, n'avoit preferé la forme du Chien, que pour marquer sa fidelité à accomplir les ordres de son Maître.
En suivant donc l'opinion de Plutarque, ne serons-nous pas très-raisonnables de trouver des rapports entre Diane & sa métamorphose, & de conclure que les Egyptiens ne l'avoient imaginée ainsi travestie, que parcequ'ils connoissoient dans les Chattes des qualitez convenables à la prud'hommie de la Déesse [15].
Il faudra ensuite expliquer cette autre figure antique ; elle est ornée de simboles qui mettront de bien mauvaise humeur ceux qui ont résolu de ne point estimer les Chats. Le Dieu Chat a devant lui, comme vous voyez, Madame, un Sistre [16], dont le manche est posé dans une petite coupe, ou, si l'on veut, un gobelet ; nous remarquerons d'abord que ce Sistre étoit un instrument consacré aux plus grandes Divinitez des Egyptiens [17] ; nous trouverons tout de suite occasion d'établir que la Musique étoit admise dans leurs festins ; & cela sans découvrir encore combien cette Musique a de rapport avec nos Chats.
Plutarque, dirons nous, fait mention d'une chanson celebre qui se chantoit dans tous les soupers de l'Egypte ; cette chanson étoit à la louange du jeune Maneros dont elle portoit le nom. Les Egyptiens le croyoient inventeur de la Musique ; il étoit fils du Roy Malcander, & de la Reine Astarte, qui accueillirent Isis, lorsque, cherchant le corps de son époux [18] que Typhon avoit divisé par morceaux, elle le trouva jetté par les vagues sur la côte de Biblus [19], où regnoit alors ce Roy, pere du jeune Maneros.
Une autre circonstance qu'il sera bien essentiel de faire remarquer, est que l'extrêmité superieure du Sistre Egyptien étoit ordinairement enrichie d'une belle sculpture, qui représentoit une Chatte à face humaine, & qu'il y avoit quelquefois des Chats semez en differens endroits de cet instrument.
Mais nous avons un autre monument de l'Antiquité plus imposant encore. Le Dieu Chat est représenté avec sa tête naturelle sur le corps d'un homme ; remarquez bien, Madame, tous ses attributs. Il tient ce Sistre même ; mais avec une dextérité, & avec un air d'habitude qui frappe, & qui découvre qu'il sçait faire usage de cet instrument. Eh ? pourquoi n'y auroit-il pas de vrais rapports entre les instrumens de Musique & les Chats ? tandis que les Dauphins depuis tant de siecles [20], sont en droit de s'attendrir aux accords de la lyre ; que les Cerfs se plaisent au son de la flûte, & que les Jumens de la Grece aimoient si fort les chansons, qu'on en avoit fait une exprès pour elles, & qui portoit leur nom [21]. C'étoit, selon ce que rapport Plutarque, une sorte d'Epithalame, dont le charme adoucissoit la rigueur de ces Jumens. Elles ne consentoient à recevoir un époux, que lorsqu'elles entendoient cet air voluptueux qui n'étoit employé qu'à cet usage [22].
Mais voici bien une autre découverte qu'il faut absolument manifester. Les Chats sont très-avantageusement organisez pour la Musique ; ils sont capables de donner diverses modulations à leurs voix, & dans les expressions des differentes passions qui les occupent, ils se servent de divers tons.
Ceux qui s'éleveront contre cette proposition, seront bien étonnez d'apprendre que nous nous serons servi expressément des termes de deux hommes celebres par leur science [23].
Les Chats mis en possession d'une belle & grande voix, nous demanderons à leurs adversaires ce qu'ils pensent de cet assemblage du Sistre & du Gobelet trouvez tant de fois entre les pates des Chats. Il me semble, Madame, qu'ils avoueront de bonne foi, (car il y a de certaines veritez qui percent à travers la prévention ;) ils conviendront, dis-je, que ce Sistre, simbole de la Musique, & ce gobelet qui réveille necessairement l'idée des festins, découvrent évidemment que chez les Egyptiens les Chats étoient admis dans les festins, & qu'ils en faisoient les delices par le charme de leur voix.
Mais supposé qu'ils ne saisissent pas d'abord le simple de cette proposition, & que semblables à ces esprits forts de la fable de Monsieur de la Mothe [24], qui trouvent impossible ce qu'ils ne comprennent pas, ils osent nous soutenir que jamais le chant des Chats, qu'ils ne manqueront pas d'appeller un miaulement, fondé sur un vers attribué injustement à Ovide [25], que ce chant, dis-je, n'a pû être harmonieux, ni même supportable, cela nous paroîtra d'une grande déraison ; mais nous le dissimulerons pour ne point paroître prévenus. Nous nous consenterons d'abord de répondre que ce qui leur semble un miaulement dans les Chats d'aujourd'hui, ne prouve rien contre les Chats de l'Antiquité, les arts étant sujets à de grandes révolutions : Nous ajouterons, avec tout le menagement possible, que ces dissonances dont ils se plaignent, ne sont peut-être qu'un manque de sçavoir & de goût de leur part. Ceci pourra avoir besoin de quelque éclaircissement ; & c'est alors que la vérité paroîtra dans son plus beau jour.
Notre Musique à nous autres modernes, dirons-nous, est bornée à une certaine division de sons que nous appellons Tons, ou Semi-tons ; & nous sommes assez bornez nous-mêmes, pour supposer que cette même division comprend tout ce qui peut être appellé Musique ; de-là nous avons l'injustice de nommer mugissement, miaulement, hannissement, des sons dont les intervalles, & les relations admirable peut-être dans leur genre, nous échappent, parcequ'ils passent les bornes dans lesquelles nous nous sommes restraints [26]. Les Egyptiens étoient plus éclairez sans doute ; ils avoient étudié vraisemblablement la Musique des animaux ; ils sçavoient qu'un son n'est ni juste, ni faux en soi, & que presque toujours il ne paroît l'on ou l'autre, que par l'habitude que nous avons de juger que tel assemblage de sons est une dissonance ou un accord ; ils sentoient, par exemple, si les Chats dans leur Musique, passoient avec la même proportion que nous faisons, d'un ton à un autre, ou s'ils décomposoient ce ton même, & en frappoient les intervalles que nous appellons Comas, ce qui auroit mis une difference prodigieuse entre leur Musique & la nôtre ; ils discernoient dans un chœur de Matoux, ou dans un récit, la modulation simple ou plus détournée, la legereté des passages, la douceur du son, ou l'aigu qui peut-être en faisoit l'agrément. De-là ce qui ne nous semble qu'un bruit confus, un charivari, n'est que l'effet de notre ignorance, un manque de délicatesse dans nos organes, de justesse & de discernement.
La Musique des peuples de l'Asie nous paroît au moins ridicule. De leur côté, ils ne trouvent pas le sens commun dans la nôtre. Nous croyons réciproquement n'entendre que miauler ; ainsi chaque Nation à cet égard, est pour ainsi dire, le Chat de l'autre, & des deux parts peut-être. Conduits par l'ignorance, on ne porte que de faux jugemens.
A ce raisonnement qui, simple comme il est, leur fera sans doute grande impression, nous ajouterons une reflexion qui archevra de les convaincre. Les Egyptiens mettoient tout à profit pour sentir le bonheur de l'existence. Les squelettes apportez pendant les festins, avertissoient de profiter des momens de la vie. Bois, disoit-on, & t'éjouis : Demain peut-être tu seras mort [27] ; mais ce spectacle, quelqu'accoutumez qu'y fussent les Egyptiens, ni cette exhortation, ne devoient pas par la premiere impression donner des idées agreables ; il n'est de precepte pour inspirer le plaisir, que les images du plaisir même. Les Chansons, les Sistres, les Chats venoient donc au secours ; ils embelissoient la sombre verité qui venoit d'être annoncé : De-là sans doute, la gayeté s'emparoit insensiblement du festin. Dans nos chansons, où ce même fond se retrouve assez communément, il est du moins presenté par des images qui paroissent avoir plus de relation avec les sentimens qu'on veut inspirer.
Pardonnez-moi, Madame, la petite vanité de m'être ici cité pour exemple. Cette chanson n'est que la même idée des Egyptiens rendue avec des couleurs plus douces, & qui sont à notre égard les Sistres & les Chats qui égayoient le tableau des squelettes.
Voilà les idées qui se sont reveillées en moi dans les premiers momens de mon depit. Ma Lettre doit se sentir de mon trouble : Ayez la bonté d'y mettre tout l'agrément qui y manque ; je vais faire des recherches serieuses, afin de recueillir les Fastes des Chats avec l'ordre & l'exactitude convenable à une matiere aussi interressante & aussi ignorée du vulgaire. J'ai l'honneur d'être, &c.
Notes
(1) Monsieur de Fontenelle, Eglogue.
(2) De M. de la Mothe le Vayer, sous le nom d'Oratius Tubere.
Jacques Pelletier de la Ville du Mans, Poëte imprimé en 1581, a fait un Poëme à la louange de la Fourmi.
Le Sieur Perrin Introducteur des Ambassadeurs de M. le Duc d'Orléans, a fait ce même éloge en vers ; il a fait encore celui du Griffon, du Moucheron & du Ver à soye, imprimé en 1663.
(3) On voit tant de personnes qui ne peuvent souffrir la vûe d'un Chat, à cause de la peur que ces animaux ont fait aux meres de ces personnes, lorsqu'elles étoient grosses. Rech. de la vérité, tom. I., l. 2, p. 189. Voyez aussi à la page 175. la note premiere.
(4) M. Locke. Il est du même sentiment que le Pere Malbranche ; mais il ajoûte que le plus souvent ces antipaties sont acquises, quoiqu'on les croye naturelles ; que leur origine n'est que la liaison accidentelle de deux idées, que la violence d'une premiere impression, ou une trop grande indulgence a si fort unies, qu'après cela elles ont toujours été ensemble dans l'esprit d'un homme. Les idées d'esprits ou de phantômes n'ont pas plus de rapport aux tenebres qu'à la lumiere ; mais si on vient à inculquer souvent ces differentes idées dans l'esprit d'un enfant, & les y exciter comme jointes ensemble, peut-être que l'enfant ne pourra jamais plus les séparer durant tout le reste de sa vie ; la peur des Chats n'est donc qu'une de ces liaisons irregulieres d'idées qui deshonore notre entendement. Traité de l'entendement, pag. 488. & 489. l. 2. chap. 33. traduc. de l'Anglois.
M. de Coulange a dit au sujet des enfans dans une de ses chansons:
On leur fait peur du Loup-garou ; On leur fait peur de la grand-bête ; Le Dragon va sortir du trou, Qui pour les dévorer s'aprête ; Enfin ces petits malheureux N'ont que des monstres autour d'eux.
(5) Plutarque, Livre de l'Envie & de la Haine, page 107. traduction d'Amyot.
(6) Un exemple bien marqué des causes chimeriques qui fondent presque toujours la haine qu'on a contre les Chats, se trouve dans les Poësies de Ronsard ; c'est dans une Epître au Poëte Belleau.
Homme ne vit, qui tant haïsse au monde Les Chats que moi, d'une haine profonde ; Je hai leurs yeux, leur front, & leur regard ; Et les voyant je m'enfuis d'autre part, Tremblant de nerfs, de veines, & de membre, Et jamais Chat n'entre dedans ma chambre ; Abhorant ceux qui ne sçauroient durer, Sans voir un Chat auprès d'eux demeurer.
Jusqu'ici voilà une déclaration de haine, expliquée avec un grand détail ; les yeux, le front, & le regard des Chats y sont mis en scene par preference. On s'imagine que le Poëte va donner raison de tout ce déchaînement ; point du tout, il passe legerement à un récit :
Et toutefois cette hydeuse bête Se vint coucher tout auprès de ma tête, Cherchant le mol d'un plumeux oreiller, Où je soulois à gauche sommeiller ;
Cette heureuse découverte, de la façon de dormir, de Ronsard, prouve autant contre les Chats, qu'elle vient sensément à son sujet. Continuons :
(Car volontiers à gauche je sommeille,) Jusqu'au matin que le Coq me réveille. Le Chat cria d'un miauleux effroi ; Je m'éveillai comme tout hors de moi, Et en sursaut mes serviteurs appelle. L'un allumoit une ardente chandelle ; L'autre disoit que bon signe c'étoit, Quand un Chat blanc son Maître reflatoit ; L'autre disoit, que le Chat solitaire, Etoit la fin d'une longue misere ; Et lors fronçant les plis de mon sourci, La larme à l'œil, je leur réons ainsi : Le Chat devin, miaulant, signifie Une fâcheuse & longue maladie ; Et que long-temps je gardrai la maison, Comme le Chat qui en toute saison De son Seigneur le logis n'abandonne, Et soit Printemps, soit Eté, soit Automne, Et soit Hyver, soit de jour, soit de nuit, Ferme s'arrête & jamais ne s'enfuit, Faisant la ronde & la garde éternelle, Comme un Soldat qui fait la sentinelle, Avec le Chien & l'Oye, dont la voix Au Capitole annonça le Gaulois.
Que d'inconsequence dans les idées de notre Déclamateur ! pour fonder son antipatie contre les Chats, il n'a que des louanges à leur donner ; il leur accorde l'humeur sedentaire & la fidelité à garder le logis de leur Maître ; il les compare enfin aux Oyes sacrées qui sauverent le Capitole.
Il n'est pas étonnant que Ronsard n'ait eu qu'une réputation passagere ; son peu de philosophie a ouvert les yeux sur les défauts de sa Poësie ; & cet Ouvrage-ci a vraisemblablement commencé d'établir ce mépris, dans lequel ce Poëte est generalement tombé.
(7) Orphée apporta en Grece les Ceremonies Religieuses des Egyptiens, & les transmit aux Thebains. Diod. de Sicile, livre premier, page 11.
(8) Lucien, Dialogue de l'assemblée des Dieux.
(9) Voyez les Antiquitez du Pere Montfaucon, Liv. VI. du Suplement, planche XLIV. du onzième Tome [From Arachne at the University of Cologne]
(10) Frere d'Osiris qui étoit l'époux d'Isis, Diod. de Sic. livre 1. page 6.
* Cùm verò in varia animalia ibi mutati fuisse dicantur, illa fuit causa cur animalia multiplicia postea coluerint Ægyptii. Nat. Com. pag. 644.
(12) Fils d'Osiris & d'Isis.
(13) Isis fille de Saturne & de Rhée, & selon quelques Mytologistes de Jupiter & de Junon, enfans de Saturne & de Rhée, leur succeda au Royaume d'Egypte, donna des loix aux Egyptiens & établit le culte des Dieux. Diod.
Je suis Isis d'Egypte Reine exquise, Bubaste ville eut par moi constructure.
Ces mots étoient gravez en la ville de Nise en Arabie. Diod. de Sic. liv. 1. pag. 6. & pag. 15.
Isis est à la fois Cybelle, Minerve, Venus, Diane, Prosperpine, Cerès, Junon, Bellone, Hecate, Rhamnusie ; c'est de-là qu'elle a été appellée Myrionyme, Déesse à Millevoix. Apulei Metam. Livre XI.
(14) Lib. de Matrim.
(15)
Duxque gregis, dixit, fit Jupiter, unde recurvis Nunc quoque formatus Libys est cum cornibus Ammon. Delius in corvo, proles Semeleïa capro, Fele soror Phœbi, nivea Saturnia vacca, Pisce Venus latuit, Cyllenius ibidis alis. Ovide Metamorphose Liv. V.
(16) Le Sistre étoit un instrument de Musique ; Isidore remarque que les Amazones s'en servoient à la guerre [deux fois: III.xxii.12, XVIII.iv.5.
(17) Voyez les antiquitez du Pere Montfaucon. Tome douxième de la seconde partie. [Montfaucon, II: pp. 287-288:
Le sistre est un symbole trop familier à Isis, pour n'en pas dire un mot dans ce chapitre. C'est un instrument long avec un manche ; le milieu en est vuide, & la partie d'en haut plus large que celle d'en bas, finit ordinairement en demi cercle. Ce milieu vuide est traversé de baguetes de fer ou de bronze, tantôt de trois, tantôt de quatre. Plutarque dit qu'au haut du sistre on représentoit un chat, qui avoit la face d'homme : il est vrai que nous trouvons assez souvent le chat sur le haut du sistre, mais je n'y ai pas encore vu la face d'un homme. Plutarque nous rapporte ce qui se faisoit ordinairement de son tems : il a pu se faire qu'aucun de ces sistres avec le chat à tête d'homme ne soit point venu jusqu'à nous. Quoiqu'on voie assez souvent des sistres avec un chat sur le haut, on en trouve aussi qui au lieu du chat ont une sphinx, une fleur du Lotus, un petit globe, un vase, ou quelque autre chose semblable. Les sistres sont assez ordinairement arrondis par le haut ; on en trouve pourtant qui se terminent en un ou plusieurs angles, comme il est aisé de remarquer sur differens sistres dont nous donnons ici la figure. On trouvoit quelquefois sur les sistres la tête d'Isis, & quelquefois celle de Nephthys, qui étoit prise, selon Plutarque, par les Egyptiens pour Venus, ou pour la Victoire. L'usage du sistre dans les mysteres d'Isis, étoit comme celui de la cymbale dans ceux de Cybele, pour faire du bruit dans les temples & dans les processions ; ces sistres rendoient un son à-peu-près semblable à celui des castagnetes. Ceux qui tirent des allegories de presque toutes les choses qui regardent le culte des dieux, trouvent du mystere dans le nombre de trois & de quatre baguetes qui se voient ordinairement aus sistres. Les trois, disent-ils, signifient trois élemens ; & les quatre les designent tous quatre. Mais ces explications hazardées n'instruisent point, & ne servent qu'à grossir un livre inutilement. Le P. Bacchini Benedictin d'Italie, qui a fait une dissertation aussi solide que savante sur les sistres, n'est pas tombé dans ce défaut : il y refute les sentimens de quelques Antiquaires trop hardis, qui avoient avancé quelques choses contre ce que les anciens monumens nous apprennent touchant les sistres.]
(18) Typhon lorsqu'il avoit tué Osiris, avoit decoupé son corps en vingt-six parties, qu'il avoit répandues & cachées en differentes contrées. Isis à force de chercher, les avoit recueillir, à l'exception de celles qui caracterisent l'homme ; mais en ayant fait faire l'image, elle la consacra par des fêtes & par des sacrifices, & l'appella Phallus. Diodore, Plutarque, & autres.
(19) Biblus, Biblis, ou Biblos, Ville maritime de la Phenicie, est une des plus anciennes Villes du monde. Steph. Bizant. in Βυβλος.
Les Egyptiens dans la fête qu'ils appelloient des Pamyliens, portoient en triomphe une statue dont le sexe étoit marqué avec exageration, pour exprimer que la generation est le principe de toutes choses. Plut. Chap. d'Isis & d'Osiris.
(20) Arion habitant de Metymnè, inventa le Dithrambe. Il jouoit si admirablement de la lyre, que s'étant lancé dans la mer, les Dauphins le reçurent, & le porterent à Tencrare. Pindare. Plutarque. Ovide. Athenée.
Comme le Daupin s'achemine, Courant la part de la marine, Dont il oit le son retenir Des haut-bois . . . Plutarque VIIe Livre des propos de table
(21) Ce chant s'appeloit Hyppothoron. Plutarq. VIIe Livre des propos de table.
(22) Sans aller chercher des exemples dans les siecles reculez, n'avons-nous pas dans une Province de France, des animaux sur lesquels de certains tons ont le meme ascendant que la chanson de Plutarque avoit sur les Jumens.
On commence par appeller l'amant par son nom ; Allons mon beau Martin, dit-on ; allons jeune vainqueur : ne vous a-t-on pas choisi une maîtresse charmante : Voyez comme elle est prévenue en votre faveur ; allons, qu'attendez-vous pour être heureux. Cette invitation qui se debite avec une sorte de déclamation chantante, ne manque jamais de produire l'effet esperé.
(23) M. Grew & M. le Clerc.
La varieté de la Tranche artere est remarquable dans les animaux ; les anneaux de ce tuyau sont disposez, en sorte que par leur moyen les animaux sont capables de donner diverses modulations à leur voix. Dans les Chats qui dans les expressions des passions qui les occupent, se servent de divers tons, ces anneaux sont séparez & flexibles, selon qu'ils sont plus ou moins dilatez, ou qu'ils le sont tous, ou seulement quelques-uns d'entre eux ; il faut que le ton soit plus haut ou plus bas, comme il arrive à une corde de viole que l'on presse plus ou moins du doigt. M. le Clerc, Bibl. chois. tom. p. 293 & 294. Extrait de la Cosmologie sacrée de M. Grew.
(24)
Tel esprit fort, soi disant infaillible, Nie avec même orgueil tout ce qui le surprent. Je ne le conçoi pas ; donc il est impossible. Vrai sillogisme d'i'gnorant. Fab. 7.
(25) Pardus hiando fœlit. Philomel. Poem. Carm. 50.
(26) Ces nouveaux Peuples de l'Inde, dit Montagne, après avoir été vaincus, venant demander paix & pardon aux hommes, & leur apporter de l'or, ne faillirent d'en aller autant offrir aux chevaux avec une toute pareille harangue à celle des hommes, prenant leur hannissement pour langage de composition & de trêve.
(27) Herodot. in Euterp.
Plus inconstant que l'onde & le nuage, Le temps s'enfuit, pourquoi le regretter ? Malgré la pente volage, Qui le force à nous quitter, En faire usage, C'est l'arrêter. Goûtons mille douceurs ; Si notre vie est un passage, Sur ce passage au moins semons des fleurs.
François-Augustin Paradis de Moncrif (1727) Les Chats. Première lettre: pp. 1-22.
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